Musique Baroque en Avignon : Bonjour, Sandrine Piau, et merci de nous accorder cette interview. Vous avez commencé la musique avec la harpe à l’âge de huit ans. Selon vous, cette pratique instrumentale a-t-elle contribué au développement de votre chant et/ou de votre personnalité artistique ?
Sandrine Piau : Complètement ! Quand on a la chance de jouer d’un instrument, on a d’abord une éducation musicale jeune. Cela donne une pratique dont le chanteur ne peut pas bénéficier (notamment avec le solfège qui devient comme une seconde langue !). Dans mon cas, être de l’autre côté et écouter un instrument qui chante m’a amené à connaître les deux versants et d’ailleurs, on me dit souvent que je suis « facile à suivre ». Ils savent que je suis attirée par la ligne du dessous, car c’est ma première pratique. J’y suis très sensible grâce à ma formation qui est une vraie richesse et donc complémentaire à ce que je suis aujourd’hui.
M.B : Certains artistes décident de se limiter à un répertoire, vous vous adonnez à un panel de répertoires allant du baroque au romantisme. Est-ce un choix de votre part d’avoir une aussi grande diversité ou-est-ce le destin ?
S.P : Un peu les deux ! En tant que harpiste, j’étais plus spécialisée dans le répertoire contemporain (j’ai toujours été fascinée par des musiques plus tardives, car elle me faisait sortir de cette image clichée « très romantique »). J’ai donc débuté des études avec Brigitte Sylvestre, spécialiste de ce répertoire. Puis, ma rencontre avec William Christie a déterminé le fait que je devienne une chanteuse baroque, donc il y a eu un « retour vers le futur », où j’ai tout appris de ce langage que je ne connaissais pas du tout ! Et aujourd’hui, les deux mondes se rencontrent grâce aux metteurs en scènes et aux directeurs de théâtres qui ont imaginé une autre vocalité en me proposant d’autres répertoires. Le panel est donc très large, car j’ai commencé par les musiques plus tardives en tant qu’instrumentiste et, en tant que chanteuse, ce fut un « grand voyage dans le temps » avec le répertoire ancien. Cela réunit un hasard des rencontres et de construction plutôt logique, dû à mon premier parcours.
M.B : Y-a-t-il encore un challenge ou objectif vocal aujourd’hui ?
S.P : Je n’ai jamais beaucoup fonctionné en challenge, mais s’il devait y en avoir un, ce serait d’attaquer le contemporain. J’ai eu l’immense chance de chanter « L’innocence » de Kaija Saariaho au Festival d’Aix-en-Provence en juillet 2021 puis au Covent Garden en avril 2023. Et dans cette continuité, je serai au Staastoper de Berlin en juin prochain pour une nouvelle création contemporaine de Marc-André Dalbavie. C’est un vrai challenge parce que c’est un langage que j’ai encore peu exercé en tant que chanteuse, mais lors d’une création, tout est ouvert car le rôle est adapté à ce que vous êtes. Tant que ma voix me le permet, mon souhait est de retourner vers la musique qui m’a révélée et de pousser de nouvelles portes.
M.B : Le 12 décembre prochain, vous présenterez le programme « Grandes figures tragiques » illustrées par les musiques de Montéclair, Haendel, Scarlatti, et Leclair. Vous serez aux côtés de Christophe Rousset et son ensemble Les Talens lyriques. En tant qu’interprète, comment abordez-vous ce type de répertoire aussi tragique ? Y-a-t-il des paramètres (musicalement et/ou artistiquement) que vous privilégiez ?
S.P. : Avec le temps, j’ai su modifier ces paramètres : quand j’étais jeune, je cherchais à mettre en place ma voix, parfois au détriment du texte. Aujourd’hui, je me rattrape et privilégie ce rapport au texte ainsi que la théâtralité. Ces cantates sont rudes, dues à leurs histoires et aux sorts de ces femmes. Notre rôle est de valoriser tous les états d’âmes de ces pièces qui sont toutes douloureuses d’une façon ou d’une autre. Il est important d’aborder ces morceaux en pensant à ce qu’elles ont pu endurer.
M.B. : Parmi le programme, quel morceau vous inspire le plus ?
S.P. : J’aime beaucoup la Lucrèce de Montéclair, qui sort du lot, car elle a été composée par un français dans un style italien. Je l’ai chantée très tôt aux côtés de William Christie et c’est une vraie Madeleine de Proust ! Je suis sensible à son écriture ainsi qu’à sa musicalité. Par exemple, lors du Lamento, il y a une partie très descriptive où lorsqu’elle se suicide, les violons imitent les gouttes de sang qui s’échappent d’elle.
M.B. : Où pourrons-nous vous écouter prochainement ?
S.P. : Toute cette saison, J’enchainerai des « Messie » d’Haendel sur plusieurs scènes, notamment à Toulouse, Barcelone ou encore à Aix-en-Provence pour son Festival de Pâques. Le 18 décembre prochain, je me réunirai avec l’ensemble Contraste pour donner un récital « Grandes Voix » autour de Schubert et de ses lieder à Clermont-Auvergne Opéra. Puis en mars prochain, je reviendrai à Avignon pour « Atys » de Lully.
Propos recueillis par Marjorie Cabrol