Musique Baroque en Avignon : Bonjour, Lucie Horsch, et merci de nous accorder cette interview. Vous êtes une des plus grandes et jeunes interprètes de flûte à bec. Comment est né votre amour pour cet instrument ?
Lucie Horsch : Nous sommes une famille de musiciens, mon frère joue du violon et mes parents sont violoncellistes professionnels, c’est donc une passion familiale de faire de la musique ! J’ai commencé la flûte à bec de ma propre initiative à mes cinq ans à l’école de Musique à Amsterdam. J’avais un super professeur qui m’a motivée et encouragée à découvrir les capacités de l’instrument, malgré les nombreux préjugés existants à son sujet. Pour moi, c’était une aventure, puis cela est devenu une addiction ! Mes parents n’auraient jamais imaginé que je choisirais la flûte à bec (à croire que je ne voulais pas faire comme eux !), mais ils sont heureux de ce choix.
M.B.A. : Vous vous adonnez à un nouveau répertoire qui est le jazz. Vous avez sorti un CD consacré à ce style, « Origins », en septembre 2022. Souhaitiez-vous aborder une nouvelle perspective à travers ce répertoire bien atypique pour votre instrument ?
L.H. : Le but était de faire quelque chose de différent. Dans un premier temps, j’ai exploré des possibilités de répertoires plus contemporains, et comme j’avais déjà joué des arrangements de Bartók (qui étrangement, marchaient plutôt bien !), cela m’a donné envie d’aller encore plus loin avec de nouvelles collaborations comme avec Carel Kraayenhof, qui a grandi avec le répertoire de Piazolla. Nous avons trouvé de belles choses pour un arrangement de Tango et la flûte à bec se prêtait à merveille pour les accents percussifs (je ne pensais pas que cela serait possible !) (rires). Le jazz est alors venu lors de ma rencontre avec un groupe qui m’a fait découvrir toutes les techniques de ce répertoire populaire et agréable. Je me suis rendue compte qu’il y a beaucoup de points communs entre le baroque et le jazz, notamment dans l’inégalité des rythmes et de la liberté musicale : il y a des passages cadrés et d’autres, qui laissent part à l’improvisation. Ces rencontres me conduisent encore à explorer ce nouveau style que j’apprécie beaucoup.
M.B.A : Le 14 janvier prochain, vous présenterez « Fantaisies musicales » avec le claveciniste Bertrand Cuiller. Quels paramètres musicaux mettez-vous en valeur pour servir au mieux ce programme ?
L.H. : Il existe de nombreux contrastes dans ce programme. J’utiliserai différentes flûtes à bec afin d’illustrer la diversité des couleurs et intensités sonores, que je peux comparer à la technique du « Chiaroscuro » dans la peinture baroque. En général, les auditeurs ont déjà des préjugés sur le langage baroque, mais avec Bertrand, nous cherchons à démontrer sa capacité à surprendre. Nous créons un dialogue, se lançant mutuellement des défis, presque comme un combat musical. Ainsi, le programme comprendra des passages dynamiques, expressifs et langoureux. Après tout, la musique est une forme de communication !
M.B.A. : Comment résumeriez-vous votre année 2023 ? Avez-vous un moment particulier qui vous a marquée ?
L.H. : Je ne pourrais pas vous le dire, car je suis très mauvaise pour ça ! Comme je suis une personne très active, je ne peux littéralement penser qu’aux événements qui se sont produits qu’au cours de ces dernières semaines ! (rires). Je suis reconnaissante de tou(te)s ces projets et opportunités qui me sont proposé(e)s et en retiens une année particulièrement riche en musique mais aussi en rencontres. Je continue à parler avec de jeunes flûtistes qui sont aussi passionnés par l’instrument que moi. Il y a quelques semaines, j’étais à la Royal Academy de Londres où je donnais une masterclass à des élèves âgés entre 10 et 15 ans. C’était l’une des expériences les plus marquantes, car ils m’ont donné de l’espoir pour le futur de l’instrument. J’ai aussi pu constater que je représentais une sorte de « mentor » pour eux et j’ai été touchée car, à leurs âges, j’aurais aimé avoir un modèle de mon âge sur qui m’appuyer. Je suis reconnaissante d’avoir ce rôle aujourd’hui.
M.B.A : Enfin, quels sont vos projets artistiques ?
L.H. : En général, je n’aime pas trop me projeter au-delà de deux ans, cela me donne de l’anxiété et je préfère profiter du moment présent. Je prépare un enregistrement qui reviendra sur les origines de l’instrument, car il est intéressant de dépasser les frontières, mais aussi essentiel de revenir sur l’essence. Pour cela, j’utiliserai seize flûtes à bec historiques qui sont de vrais bijoux. En parallèle, je poursuis mon master en chant et cette année, j’ai l’honneur d’être artiste en résidence à la salle de concert Tivoli Vredenburg d’Utrecht où je présenterai une série de six concerts différents, une première pour moi ! J’ai carte blanche, alors je prépare de beaux projets comme des récitals, des créations, ou encore des podcasts à enregistrer avec d’autres musiciens venant jouer à Utrecht. C’est une belle opportunité !
Propos recueillis par Marjorie Cabrol