Musique Baroque en Avignon: Bonjour Léopold Gilloots-Laforge, et merci de nous accorder cet entretien. Pour commencer, pourriez-vous nous expliquer ce qu’est un contre-ténor et en quoi cette voix se distingue des autres types de voix masculines ?
Léopold Gilloots-Laforge: La voix de contre-ténor se caractérise par une tessiture aiguë, principalement obtenue grâce à l’utilisation de la voix de tête. Cette particularité la distingue des autres voix masculines, comme les hautes-contre et les ténors légers qui ne l’emploient qu’occasionnellement. Apparue sur la scène lyrique dans les années 50, en parallèle de la redécouverte de l’opéra baroque, la voix de contre-ténor a rapidement gagné en popularité. Les contre-ténors ont ainsi repris le flambeau des castrats, interprétant les rôles virtuoses et expressifs écrits pour ce type de voix. Aujourd’hui, ils sont devenus des figures incontournables de l’opéra baroque, incarnant les personnages masculins et parfois même féminins créés par les compositeurs de cette époque.
MBA: Comment avez-vous découvert votre voix de contre-ténor?
L.G.L : J’ai toujours chanté depuis mon enfance, et après la mue, c’est naturellement vers la voix de contre-ténor que j’ai été porté. Bien que je n’aie pas initialement cherché à me spécialiser dans ce registre ni à me consacrer au répertoire baroque, cette tessiture s’est imposée à moi de manière presque instinctive. C’est à l’âge de 17 ans, lorsque j’ai décidé de me consacrer pleinement au chant, que j’ai pris conscience de l’importance de travailler cette voix si particulière. La rencontre avec ma professeure, Sophie Hervé, a été une vraie révélation : grâce à ses précieux conseils et à son accompagnement, j’ai pu affiner ma technique vocale et me forger une solide base pour aborder les exigences de ce métier.
MBA: Vous avez interprété de nombreux rôles d’opéra baroque. Quel est celui qui vous a le plus marqué et pourquoi ?
L.G.L : Dure question car il y a tellement de spécificités dans chaque rôle de ce répertoire! La première chose qui me viendrait à l’esprit, c’est le rôle de la sorcière dans l’opéra “Didon et Enée” de Purcell, qui m’a captivé par son mystère, sa noirceur et son côté Shakespearien très poussé; j’ai donc vraiment aimé explorer cette facette sombre du personnage. Je pourrais également vous citer le rôle de Tamerlan, issu de l’opéra “Tamerlano” de Haendel qui a été mon tout premier rôle professionnel. Son interprétation m’a offert un défi passionnant : incarner un tyran fougueux aux émotions extrêmes. Ces deux rôles m’ont permis de sortir de ma zone de confort et m’ont poussé à me dépasser, et c’est ce qui a rendu ces expériences particulièrement enrichissantes.
MBA: Ce dimanche 24 novembre, vous allez donner un récital opposant Haendel à Farinelli. Comment est née l’idée d’opposer ces deux grands musiciens dans un même récital ?
L.G.L : L’idée d’opposer Haendel et Farinelli dans un récital est née d’une réalité historique frappante: leur confrontation à Londres au XVIIIe siècle. À l’époque, Haendel, talentueux compositeur, bénéficiait du soutien royal, tandis que Farinelli, castrat virtuose formé par Porpora, était propulsé sur le devant de la scène par le fils du roi, désireux de rivaliser avec son père. Cette compétition acharnée a donné lieu à de magnifiques spectacles, mais a aussi entraîné la ruine des deux compagnies. Au-delà de cet affrontement politique et économique, il y avait une véritable opposition artistique. Haendel, avec sa musique plus contenue, était à l’antithèse de Porpora qui, grâce à la voix exceptionnelle et très virtuose de Farinelli, explorait les limites de la virtuosité vocale. En opposant ces deux figures emblématiques de l’opéra baroque, nous souhaitons non seulement rendre hommage à leur talent, mais aussi plonger le public au cœur de cette rivalité qui a marqué l’histoire de la musique.
MBA: Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement chez ces deux musiciens ? Si vous deviez en choisir un seul des deux, lequel choisiriez-vous ?
L.G.L : Je me trouve dans une situation enviable : celle de ne pas avoir à choisir ! Mais je dois avouer que Haendel m’attire tout particulièrement par la particularité de son écriture vocale qui opte pour une épure remarquable dans ses airs lents. Ce style précède étonnamment la période classique et fait de lui un compositeur à part: il réussit à créer une palette sonore et vocale unique, tout en maîtrisant parfaitement les codes de la virtuosité baroque. Cette dualité, entre la simplicité et la complexité, est ce qui rend Haendel si attachant. Il sera intéressant de comparer, lors du récital, la musique très épurée d’Haendel à celle, plus virtuose, de Porpora, compositeur que nous mettrons également en avant. Cela permettra au public de saisir toute la richesse et la diversité de la musique baroque.